LOI DDADUE 2024 : quel impact pour les congés payés ?

amendement loi DDADUE 2024 : quel impact pour le cumul des congés payés ?

Le 9 avril prochain, l’amendement déposé par le gouvernement au projet de loi DDADUE (portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union Européenne), qui met en conformité le droit des congés payés (CP) Français avec une directive Européenne datée de 2003, devrait être adopté définitivement par l’Assemblée. Cet amendement, voté en première lecture à l’Assemblée nationale le 18 mars, ayant été examiné et accepté par la Commission Mixte Paritaire, la loi pourrait être promulguée après le vote prévu les 9 (à l’Assemblée nationale) et 10 avril (au Sénat). Cette promulgation devra néanmoins probablement attendre un probable examen du Conseil Constitutionnel dont il y a fort à parier qu’il sera saisi.

Le droit aux congés payés : un contexte d’incertitudes pour les employeurs 

La France qui, depuis 20 ans en effet, est « hors-la-loi Européenne » quant au sujet de l’acquisition des congés payés par les salariés en arrêt maladie, se décide enfin à transposer la directive qui précise que tout salarié a droit à des congés pays, qu’il ait travaillé ou pas, l’acquisition des congés payés pour le droit Européen n’étant pas conditionnée à un travail effectif. La Cour de cassation a quelque peu forcé la main du législateur en rendant plusieurs arrêts, le 13 septembre 2023, par lequel elle a considéré que les salariés arrêtés pour maladie acquièrent des congés payés durant leur arrêt, et ce, en contradiction du Code du Travail, mais en conformité avec le droit Européen.

La position retenue le 13 septembre 2023 a suscité bien des craintes de la part des employeurs : en effet, au terme de ces décisions, les salariés pourraient théoriquement réclamer leurs arriérés de congés payés sans limitation de durée et sans aucune prescription, dès lors qu’ils n’ont pas été informés de la possibilité d’acquérir des congés payés. L’insécurité juridique était alors à son comble pour les entreprises, car un salarié dont le contrat avait été rompu, par exemple en 2014, était fondé à saisir le Conseil de Prudhommes pour récupérer des congés acquis en 2010, sans aucune limite sur le montant de ces derniers.

Amendement du projet de loi DDADUE : vers une réduction des droits des prétentions arrêtés pour cause de maladie 

C’est dans ce contexte d’incertitudes, entre prise de positions de principe et chiffres au doigt mouillé, que l’amendement au projet de loi DDADUE a été présenté à l’Assemblée Nationale, et cet amendement réduit considérablement les droits, et donc les éventuelles prétentions des salariés arrêtés pour cause de maladie.

Une acquisition des congés payés rétroactives, mais avec une limite 

Les dispositions qui permettent aux salariés arrêtés pour maladie d’acquérir des congés payés sont rétroactives, mais cette rétroactivité est encadrée puisque l’amendement limite le nombre de congés payés pouvant être acquis sur une période de référence à 4 semaines en cas d’arrêt non imputable à un accident du travail ou à une maladie professionnelle (et non 5, le droit Européen étant en la matière moins généreux que le droit national). Parallèlement, l’amendement limite la durée de report des congés payés des salariés en poste, en introduisant un délai de forclusion de 2 ans débutant à compter de la publication de la loi (et de 3 ans pour les salariés ayant quitté leur entreprise). Enfin, l’acquisition sera limitée à une période de 15 mois maximum.

Un texte qui porte de nombreuses interrogations 

Une commission mixte paritaire, initialement prévue le 9 avril 2024, finalement tenue le 4, va semble-t-il adopter définitivement le texte qui, s’il a été à l’origine de nombreux soupirs de soulagement des employeurs, ne mettra pas forcément fin à leurs sueurs froides, surtout si le Conseil Constitutionnel était saisi. En effet, le texte comporte, en son état actuel, de nombreuses interrogations :

  • Le texte présente des inégalités de traitement selon la nature de l’arrêt de travail 

Le Conseil d’Etat (CE), qui a examiné l’amendement sur demande du gouvernement n’a rien trouvé à y redire, pour les raisons suivantes :

« 14.    Par sa décision déjà mentionnée n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article L. 3141-5 du Code du travail (CT), en ce que les seules périodes de congés qu’elles assimilent à des périodes de travail effectif sont les absences pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, ne méconnaissent pas le principe d’égalité par la différence de traitement qu’elles introduisent, pour l’acquisition des droits à congé annuel payé, selon le motif de suspension du contrat de travail.

  1.  Le Conseil d’État considère qu’il se déduit de cette décision que la différence de traitement, plus circonscrite, qui résulte du projet d’amendement envisagé par le gouvernement ne méconnaît pas le principe constitutionnel d’égalité, ni pour celle qu’il introduit avec les salariés en activité professionnelle, ni pour celle qu’il introduit avec les salariés absents en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. ».

Le CE se réfère là à la décision du Conseil Constitutionnel ayant examiné les dispositions anciennes du Code du Travail (avant la transposition de la directive), décision ayant précisé la constitutionnalité des dispositions du CT prévoyant que les CP étaient conditionnés par l’exercice d’un travail effectif. Or, la transposition de la directive Européenne via l’amendement proposé, créé une nouvelle différence de traitement : les salariés en arrêt de travail consécutif à une cause professionnelle (AT ou MP) pouvant acquérir des CP à hauteur de 5 semaines annuelles, tandis que cette acquisition est limitée à 4 semaines pour les arrêts d’origine non professionnelle.

  • Le texte présente des inégalités de traitement entre salarié et ancien salarié 

L’amendement opère en effet inégalité entre salariés encore en poste et ceux dont le contrat de travail a été rompu, puisqu’il dispose que les salariés en poste pourront reporter leurs CP dans la limite de 15 mois s’ils sont dans l’impossibilité de les prendre pendant la période d’arrêt de travail (passé ce délai, ils seront perdus, cette durée étant conforme à la réponse de la CJUE à la question préjudicielle lui ayant été posée, décision du 9 novembre 2023).

Tandis que les salariés dont le contrat est rompu réclamer une indemnité de congés payés dans la limite de la prescription triennale en matière de paiement de salaire.

Les salariés ayant quitté l’entreprise pourront donc réclamer durant 3 ans l’indemnité de CP, alors que les salariés en poste auront perdu leurs CP s’ils ne les ont reportés dans le délai de 15 mois.

  • Le texte présente des inégalités de délai d’action en justice 

Le droit d’agir en justice étant considérablement réduit et différent selon que les salariés seront en poste ou non :

  • Pour les salariés encore en poste qui voudront réclamer leur CP acquis pendant leurs arrêts de travail sur la période 2009-2024 (la Charte des droits fondamentaux est devenue contraignante lors de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1erdécembre 2009.) et les mettre à leurs compteurs, la possibilité d’agir en justice sera limitée dans le temps.

Ils devront en effet saisir le juge dans un délai de 2 ans suivant la publication de la loi (délai de forclusion, ou délai préfix, se distinguant par nature du délai de prescription : le délai de forclusion se définit en effet comme une sanction civile qui, en raison de l’échéance d’un délai légalement imparti pour faire valoir ses droits en justice, éteint l’action dont disposait la personne pour les faire reconnaitre).

Particularité de cette loi le délai de forclusion débute à la date de publication, ce qui apparait exorbitant du droit commun, fixant généralement le point de départ d’un délai de forclusion à un évènement précis rattaché au cas d’espèce (en règle générale la date à laquelle l’ayant droit est réputé avoir eu connaissance des droits en question).

  • Pour les salariés ayant acquis des congés payés et dont le contrat est rompu, ceux-ci sont soumis à la prescription triennale inscrite à l’art. L 3245 du Code du Travail : « L’action en paiement ou en répétition de salaire se prescrit par 3 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des 3 dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des 3 années précédant la rupture du contrat».

S’ils ont été informés de leurs droits, ils pourront agir dans les 3 ans suivant la rupture de leurs contrats de travail, soit un an de plus que les salariés en poste.

Pour les employeurs, c’est donc loin d’être la fin de l’insécurité juridique…

Par ailleurs, et sans même que la stabilité juridique des mesures soit assurée, il va convenir, pour les entreprises, d’appréhender les sujets métiers et techniques que cette réforme va engendrer.

Acquisition des congés payés, vers une révision des outils de paie 

En effet, l’acquisition des congés payés au cours des périodes de maladie va entraîner la nécessaire révision des spécifications de paramétrage, tant des outils de paie que des outils de gestion des temps : vont devoir être annihilés les effets abattants de toutes les absences maladie sur l’acquisition des congés payés, tant pour la période « en cours d’acquisition », i.e. celle courant depuis le 1er juin 2023 que pour les périodes de CP acquis et les diverses sédimentations de reliquat.

Parallèlement, un important travail va devoir être fait pour les années précédentes, notamment dans le cadre des salariés ayant quitté l’entreprise (en lien avec les incertitudes juridiques planant encore sur la version définitive du texte, comme nous l’avons évoqué supra), et, dans ce cas, sans pouvoir s’appuyer sur les capacités de calcul automatisé des outils de paie et de GTA.

Il va donc être nécessaire de reprendre chaque période de maladie des salariés sortis, en tenant compte des délais de prescription, afin de générer les droits à CP non acquis au cours de cette période de vie du salarié. Et subséquemment de travailler en intelligence avec les services comptables afin de générer des provisions permettant de couvrir les éventuels recours de salariés à concurrence des délais de forclusion et/ou de prescription : en effet, les plans comptables provisionnent actuellement les CP réellement acquis (ou en cours d’acquisition), donc déflatés des absences abattantes dont font partie les périodes de maladie pour cause non professionnelle.

Si la prise en compte des nouvelles règles se fera sans difficulté une fois le paramétrage de l’outil de paie mis en concordance avec la nouvelle réglementation, la mise à jour des provisions passées va demander un important travail de collation des informations de droit mais aussi de brut ainsi que de charges (charges personnalisées ou par statut, selon les pratiques en cours au sein de l’entreprise), et ce dans un délai contraint, afin de pouvoir faire face aux éventuelles actions en contentieux des salariés ou ex-salariés dès la promulgation de la loi.

Une nouvelle réglementation qui va impacter le continum d’activités des RH 

En sus des actions de calcul de droit et de provisionnement, la nouvelle réglementation va impacter le continum d’activités des ressources humaines, et notamment impliquer une charge extrêmement importante sur les services en charge de celles-ci : en effet, l’un des enjeux majeurs de la réponse à cette inflexion de la réglementation va être la capacité des services RH à justifier de la connaissance des salariés mais aussi des salariés ayant quitté l’entreprise- des termes de la loi, et ce afin de commencer à faire courir les périodes de prescription et de forclusion entraînant, à terme, déchéance de droit.

L’amendement insère d’ailleurs une obligation d’information pour les employeurs, afin de faire débuter le délai de prescription mais aussi le délai de report des congés payés.

En effet, l’employeur doit informer le salarié dans les 10 jours qui suivent la reprise du travail après un arrêt maladie du nombre de jours acquis et du délai dont il dispose pour les poser.

Que se passera-t-il en cas de non-délivrance de cette information ? 

Pour les salariés en poste, le délai de report débutant à la date d’information de l’employeur, pour les salariés arrêtés depuis moins d’un an, sans pouvoir justifier de cette information, le délai ne débutera pas et le salarié ne sera jamais en position de perdre ses congés. Pour ce qui est des salariés dont le contrat a été rompu, cette information serait le point de départ de la prescription de 3 ans. Sans justification du fait que l’ex-salarié ait reçu cette information, le délai de prescription ne débutera jamais et le salarié non informé pourrait solliciter tous ses CP acquis durant l’arrêt maladie sans que le montant soit limité à 3 années de congés payés…

Ces conséquences, ainsi que bien d’autres encore qui vont impacter l’activité RH des entreprises pour ne prendre qu’un exemple, la modification des pratiques de contrôle de paie, qui vont devoir intégrer ces nouvelles périodes d’acquisition durant des périodes de suspension du contrat de travail mais aussi le risque d’impacter d’autres pans de la gestion de la paie notamment (pourquoi abattre telle ou telle prime du fait d’absences qui désormais n’abattent plus l’acquisition des congés payés) ne manqueront pas de représenter une nécessité d’expertise qui va obérer l’activité des services RH et paie, et ce dans des délais extrêmement contraints, même sous la pression d’action contentieuse.

Il est donc essentiel d’appréhender dès maintenant, le plus en avance de phase possible, l’ensemble des impacts à venir, en embrassant tous les champs qui vont être impactés, et ce grâce à l’apport de valeur des experts paie et processus RH d’Althéa, qui sauront vous accompagner dans l’analyse des process à investiguer (paie, RH, comptables) et dans la mise en œuvre des actions dans l’ensemble du champ de l’entreprise.

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